Comme vous le savez, l’un des premiers levier d’action que je recommande à mes patients est de changer son alimentation et d’adopter un régime à glucide bas, parfois cétogène.
En effet, la grande majorité des personnes qui adoptent un régime pauvre en glucides ou cétogène constatent des améliorations étonnantes du contrôle de la glycémie et des taux d’insuline et une baisse marquée de leur poids dès les premiers jours.
A vrai dire, comme je le répète souvent, la restriction glucidique est si efficace pour le diabète de type 2 et l’obésité que certains chercheurs ont déclaré qu’elle devrait être « le traitement par défaut » pour ces problèmes, et ceux qui la suivent sont généralement en mesure de réduire ou d’éliminer de nombreux médicaments, y compris l’insuline injectable.
Cependant, la variabilité individuelle étant ce qu’elle est, un pourcentage de patients voient leur glycémie à jeun augmenter (> 90 mg/dl) après un certain temps de régime à très faible teneur en glucides. Sachant qu’une glycémie à jeun élevée fait partie des critères de diagnostic du diabète de type 2 (DT2) et du syndrome métabolique, cette augmentation apparemment paradoxale est-elle une raison de s’inquiéter ?
Comme c’est le cas pour une grande partie de la médecine fonctionnelle, tout est question de contexte. Une glycémie à jeun (GJ) plus élevée que ce à quoi on pourrait s’attendre chez une personne suivant un régime à très faible teneur en glucides sur le long terme n’indique pas un début d’insulino-résistance. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles la glycémie à jeun peut être élevée, et de nombreuses façons d’évaluer la santé métabolique et la glucorégulation au-delà de cette seule mesure.
« Le phénomène d’aube »
Le « phénomène d’aube » est bien connu de tout médecin qui traite des patients atteints de diabète ou de résistance à l’insuline (RI). La glycémie s’élève naturellement en réponse aux poussées de cortisol et d’autres hormones mobilisatrices d’énergie aux premières heures du matin. Cela se produit chez tout le monde, et pas seulement chez les diabétiques ou les personnes souffrant de RI, mais chez les personnes en bonne santé ayant une bonne sensibilité à l’insuline comme celles suivant un régime pauvre en glucides. C’est tout a fait normal et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous ne devez jamais prendre votre glycémie à jeun moins de 1H après votre lever.
« Utilisation sélective du glucose »
Une autre raison pour laquelle la glycémie à jeun est plus élevée que prévu est liée à ce ce qu’on appelle la résistance physiologique à l’insuline.
Il s’agit d’un phénomène qui se produit chez les personnes qui ont suivi un régime très pauvre en glucides ou cétogène pendant une longue période, et qui s’apparente lié au phénomène d’aube. Chez les personnes adaptées à la cétose et donc à l’utilisation des graisses, c’est-à-dire celles ayant suivi un régime à très faible teneur en glucides pendant une longue période, la plupart des cellules de l’organisme utilisent en priorité les acides gras et les cétones, avec des besoins en glucose beaucoup plus faibles que chez les personnes suivant un régime riche en glucides. Comme ces cellules fonctionnent parfaitement grâce aux graisses (alimentaires et corporelles) et aux cétones, elles n’ont besoin que d’un minimum de glucose. En revanche, d’autres cellules ont un besoin impératif de glucose, c’est le cas des cellules cérébrales.
La majorité du glucose disponible est donc réservée aux tissus qui en ont absolument besoin, comme le cerveau. Comme les tissus musculaires « refusent » le glucose afin de le garder disponible pour le cerveau, la glycémie augmente, surtout le matin. Ce phénomène est parfois appelé « résistance physiologique à l’insuline » afin de le différencier de la résistance pathologique à l’insuline, mais il serait plus approprié de parler d’utilisation sélective du glucose, une adaptation que le corps de certaines personnes fait en tant que réponse saine, normale et attendue à un apport très faible en glucides.
La glycémie à jeun – limitée et trompeuse !
Une mesure isolée, à l’instar de la glycémie à jeun, ne devrait que rarement être utilisée pour diagnostiquer un problème ou prescrire un médicament, surtout lorsqu’il s’agit d’une mesure aussi variable que la glycémie à jeun. L’HbA1c ou « hémoglobine glyquée » est un meilleur outil pour évaluer la glucorégulation. Pour la plupart des gens, tant que le taux d’HbA1c est normal, une glycémie à jeun légèrement élevée n’est pas une cause d’alarme. Si le taux à jeun peut être élevé, l’HbA1c est un meilleur indicateur de la glycémie pendant le reste de la journée, au fil des semaines et des mois. Si un patient s’inquiète particulièrement d’une glycémie à jeun légèrement élevé, il peut utiliser un glucomètre à domicile pour effectuer plusieurs tests tout au long de la journée pendant quelques jours ou semaines afin d’obtenir une image plus précise de son contrôle glycémique. Les personnes qui souffrent du phénomène d’aube ou d’une résistance physiologique à l’insuline constatent souvent que leur taux de glucose tout au long de la journée se situe bien dans la fourchette normale à laquelle elles s’attendent dans le cadre d’un régime cétogène, ce qui peut dissiper des craintes infondées.
Toutefois, le dosage de l’HbA1c comporte de nombreux risques et n’est pas toujours un indicateur fiable de la glycémie. Il existe peut-être un moyen encore plus efficace d’évaluer la santé métabolique et la sensibilité à l’insuline. Ce véritable outil de mesure de la sensibilité à l’insuline et du contrôle de la glycémie est le HOMA-IR.
HOMA-IR
Là où l’HOMA-IR se distingue de la glycémie à jeun et de l’HbA1c, c’est qu’il tient compte de l’insuline, c’est-à-dire de l’effort que l’organisme doit fournir pour maintenir l’homéostasie : quelle quantité d’insuline est nécessaire pour maintenir la glycémie dans une plage normale ?
La glycémie à jeun et l’HbA1c sont toutes deux des mesures uniquement de la glycémie. Cependant, chez un nombre très important de personnes, notamment en surpoids, la glycémie à jeun et l’HbA1c sont normales parce que des taux d’insuline dangereusement élevés les maintiennent sous contrôle.
En ne testant que la glycémie à jeun et l’A1c, des millions de personnes ayant une sensibilité à l’insuline altérée sont potentiellement bercées d’un faux sentiment de sécurité quant à leur santé métabolique. Le HOMA-IR est le véritable indicateur, et il peut aider à identifier les patients à risque pour une myriade d’affections découlant d’une insuline chroniquement élevée, même lorsque la glycémie est normale. Ces affections sont nombreuses, mais la liste abrégée comprend le SOPK, l’hypertension, la goutte, l’obésité, l’HBP, les troubles de l’érection et la maladie d’Alzheimer.
Voici comment est calculé le HOMA-IR :
Glucose en unités de masse (mg/dL)
HOMA - IR = (Glucose x Insuline) / 405
Voyons un exemple d’ HOMA-IR :
Excellente sensibilité à l'insuline : ≤ 1 Sensibilité à l'insuline moyenne : 1,75 Insulino-résistant : ≥ 2,75
Patient A
Glycémie à jeun : 92 mg/dL
Insuline à jeun : 4 μIU/mL
HOMA-IR : (92 x 4) / 405 = 0,90
Patient B
Glycémie à jeun : 82 mg/dL
Insuline à jeun : 14 μIU/mL
HOMA-IR : (82 x 14) / 405 = 2,83
La glycémie à jeun du patient A est plus élevée que celle du patient B, mais l’insuline du patient A est beaucoup plus faible. En tenant compte à la fois du glucose et de l’insuline, les scores HOMA-IR montrent que, même avec une glycémie à jeun plus faible, le patient B présente un risque plus élevé de complications métaboliques à terme. Son organisme doit travailler davantage et il a besoin de beaucoup plus d’insuline pour maintenir un taux de glucose sain.
Conclusion
Une glycémie à jeun légèrement élevée chez les personnes qui pratiquent l’hypoglycémie ou le régime céto depuis longtemps n’est généralement pas une source d’inquiétude. Comme toujours, il faut considérer l’ensemble de la situation afin que chaque mesure – qu’il s’agisse de la glycémie, de l’HbA1c, de l’insuline, des triglycérides, du LDL ou d’autre chose – puisse être interprétée comme faisant partie d’un système dynamique et dans le contexte approprié. C’est encore plus vrai dans le cadre du surpoids.